« Fschou ! »
« Oh, en voilà un ! »
« Fschou ! »
« Et là ! Un autre ! »
« Fschou ! Fschou ! »
« Deux d’un coup ! »
« Fschooooou, fschou, fschou, fschou ! »
« Une mobylette !
– Voyons mon cher Naimor, un diesel. »
« Fschou ! Fschou ! »
« Ça n’en finit pas !
– Comme les soldes en été…
– Ne le sont-elles pas aussi en hiver ?
– Et en automne.
– Et les soldes printanières ?
– Disons que c’est tout le temps les soldes.
– Mais alors, sont-ce toujours des soldes ? »
Nos deux observateurs n’eurent pas le temps de poursuivre cette profonde conversation car déjà :
« Fschou ! Fschou ! Fschou ! Fschou ! »
« Est-ce que cela va finir à la fin ? »
Cela « allait bientôt finir à la fin » car le train était sur le point de partir. Ce phénomène était unique au monde, propre à Paris, quand le train est court et que le quai est long (et il est souvent long, ce gredin) nous ne manquons pas de voir maints voyageurs déterminés courir à toute berzingue pour monter à bord. Ils produisent ce bruit reconnaissable entre mille, semblable à celui émis par une Formule 1 lancée à pleine blinde, qui vous dépasserait en un éclair :
« Fschou ! »
Rassurez-vous cher lecteur, le train vient de partir, vous ne serez plus importuné. Enfin, au moins jusqu’au prochain train court (et il est souvent court, ce gredin…).
« Qu’allons-nous faire maintenant, cher Naimor ?
– Attendons-nous le prochain train court ?
– La Défense m’ennuie profondément en réalité…
– Et moi donc ! Surtout, quelle laideur.
– On dirait qu’ils l’ont fait exprès, ahah.
– Nous pourrions prendre la Une, aller aux Champs-Élysées…
– Et nous faire voler par les pickpockets ? (Il y avait beaucoup de pickpockets aux Champs-Élysées. Les raisons de leur présence sont non élucidées).
– Ah ! Mais proposez donc. C’était votre idée de venir écouter les formules 1 humaines, et maintenant nous voilà drapés d’ennui…
– Irions-nous au cinéma ?
– Voyons, ils sont tous fermés.
– Et que diriez-vous du théâtre, on dit le plus grand bien de…
– Fermés aussi…
– Les salles de musique, peut-être ?
– Fermées.
– Les…
– Fermées.
– Mais je…
– Fermés.
– S’il…
– Fermé.
– Et les restaurants ?! Il y a grand temps que je n’ai dégusté une bonne blanquette, bien blanche, dans l’une de nos fameuses brasseries françaises !
– Et pour cause mon bon Naimor, elles sont aussi fermées depuis des mois.
– Mais enfin !! Que diable n’est-il qui ne soit fermé ?
– Le travail, mon bon Naimor.
– Mais, nous sommes au chômage, car tout est fermé.
– Irions-nous à Pôle Emploi dans ce cas ?
– Surtout pas ! Vous savez bien que j’y tombe malade à chaque fois…
– Leur air conditionné toujours mal réglé…
– Oui, l’air conditionné…
– Hm… Ne traverserions-nous pas la rue ?
– Pour quoi faire ?
– Je ne sais pas, comme ça, peut-être que…
– Non, ça ne me dit trop rien, cette histoire de rue… la traverser… ça m’a l’air fort pénible…
– Oui… Irions-nous acheter des vêtements ?
– Comment ? Les magasins sont ouverts ?
– Ah oui, c’est curieux, hein ?
– Oui, mais, vous savez fort bien que nous sommes sans le sou, car…
– Le chômage…
– Quelle chance d’avoir trouvé des tickets de métro par terre…
– Nous n’aurions tout de même pas resquillé !
– Non, non jamais… ça, c’est bon pour… les racailles… »
« Fschou ! Fschou ! »
« Direction Saint-Lazare, n’irions-nous pas ?
– Qu’y a-t-il à y faire ?
– Se moquer des clochards.
– Mais, mon bon, nous sommes en hiver. Vous savez bien qu’ils sont tous morts dans le froid.
– Ah, il n’y a donc même plus de pauvres pour s’en moquer … quelle époque… »
« Fschou ! Fschou ! »
« Irions-nous nous balader, tout simplement ? Je crois que nos pieds sont libres, bien que nous soyons fort mal chaussés.
– Fort mal chaussés, mais pour la bonne cause ! Nous avons fort bien fait de renoncer à ces… ces sneakers…
– Oui, parce que toutes ces marques…
– Fabriquées dans des conditions…
– Oui c’est…
– Révoltant…
– Je suis révolté…
– Oui, je n’ai acheté…
– Que trois paires…
– Quatre…
– Que quatre…
– Enfin ! Ne partirions-nous pas ?
– Mais où ?
– Nous promener dans les rues, voyons ! Paris n’est-elle plus la plus belle ville du monde ?
– Ah ! Pour que nous nous marchions dessus avec les touristes…
– Mais, mon bon, il n’y en a plus !
– Comment ? Madame Daldalgogo nous aurait donc libéré de ce fléau ? (car réellement, les touristes étaient le fléau de Paris) Après les automobilistes et les gens… les gens de dr****…
– Ah, surtout ne me parlez pas de ces gens, ces gens de dr****… Mais non, voyons. Cela est dû au contexte actuel.
– Le contexte actuel ?
– Enfin, cette maladie fâcheuse… qui se répand de jour en jour… très, très contagieuse… terriblement contagieuse…
– Je l’ignorais…
– Ne regardez-vous pas la télévision, très cher ?
– Mon médecin dit que c’est mauvais pour la santé, j’évite…
– Vous ne manquez pas grand-chose, en réalité… »
« Fschou ! »
« Ne pourrions-nous pas prendre nos téléphones pour « scroller » un coup, comme disent les jeunes ?
– Mais, voyons, vous savez bien que j’ai remplacé mon smartphone par un téléphone en bois.
– En bois ?!
– En bon bois français des forêts contrôlées d’Alsace.
– Mais, pouvez-vous « scroller » avec ça ?
– Hin hin. (Parfois dire « non » prend trop de temps, on lui préfère une onomatopée bien sentie)
– Et pour vos appels ?
– Il n’appelle pas.
– Et les sms ?
– Il n’envoie pas de sms.
– Mais alors, quelle est sa fonction ?
– Il ne pollue pas. »
« Fschou ! »
« Ne prendrions-nous pas un de ces trains pour nous évader en province, là où cette terrible maladie ne sévit pas encore ?
– Voyons, vous savez bien comment nous sommes traités hors de Paris, nous ne sommes pas les bienvenus hors de… hors de nos murs…
– Ah, ces provinciaux…
– Des ingrats. »
« Fschou ! »
« Je ne vois plus ce que nous pouvons faire…
– Mon cher, le désœuvrement étant propice à la réflexion, je pense être arrivé à une conclusion sinon satisfaisante, au moins irréfutable.
– Ah ! Et quelle est-elle ?
– Je crois que.
– Oui ?
– Il ne nous reste qu’à.
– Oui ?
– Mourir.
– Ah. »
« Fschou ! Fschou !
… »
