Ainsi je rencontre mon ami Roger (prononcer Rogeure, il est anglais) à une terrasse de la rue Montorgueil.
Fier représentant de l’optimisme anglo-saxon ayant porté son peuple pendant des siècles, il me semble pourtant d’une humeur maussade.
Comment se fait-il que son menton pointant d’habitude 5 degrés plus haut (il est issu de la noblesse écossaise) soit à une hauteur normale ? Signe inquiétant.
Pourtant, le beau temps pointe le bout de son joli nez en ce mois de juin salvateur, qui délivre habituellement l’humanité de ses problèmes.
– Aaaah, Romain…
La façon dont il prononce mon prénom m’a toujours beaucoup amusé. Mais connaissant son caractère je pense qu’il en rajoute. Néanmoins il se plaint en ces termes : « Aaaaah, Romain… ». Étonné de son dépit, j’en interroge les raisons.
– Aaaaah, Romain… tu ne me croiras pas mais… vous avez tellement de chance… vous les Français…
Certainement, et à de nombreux titres. Mais auquel précisément ?
– Ce god damn Brexit…
Ah ?
– That was a fucking good idea, but there’s one flaw… we didn’t see it coming…
« Le Brexit était une idée extraordinaire mais il y a un inconvénient, imprévu. »
Que lui, lui dont les ancêtres ont combattu les Romains au mur d’Hadrien pour défendre leur indépendance, puisse tenir un tel propos sur le Brexit m’interloque.
– We’re in summer…
Oui.
– And yet…
Et pourtant.
– Where are…
Où sont ?
– …les jupes, minijupes, shorts… où sont les t-shirts blancs, débardeurs… nothing in London, Birmingham, Glasgow… les filles sont tristes, glacées, mégères…
Voyons, Roger, tu exagères.
– Non ! Tu ne comprends pas Romain ! Since Brexit pretty ladies are gone…
Je commence à sourire pensant qu’il va mettre un terme à sa plaisanterie.
Mais son air peiné ne change pas.
– Trust me… les fleurs de mon pays s’en vont se faner ailleurs… alors qu’à peine arrivé-je à Paris que déjà s’offrent à mes yeux tant de visions enchantées…
– Qui chantent l’été.
– Qui chantent l’été…
Il a l’air si convaincu de ce qu’il m’avance que je ne sais comment le contredire, bien que ça me paraisse incongru.
C’est ici que la Providence décide d’envoyer une de ses plus ravissantes créations traverser furtivement notre destinée.
– Look, Roger ! en murmurant, une Parisienne, une sublime Parisienne ; je suis persuadé qu’en ce moment même des filles aussi belles parcourent les rues de Londres ou que sais-je.
– Non, listen …
Il alpague la demoiselle, dans la langue de Shakespeare, et elle lui répond de même.
– You see, a british lady, they all gone…
Sur le cul de sa démonstration, je ne sais plus quoi dire tandis que l’Anglaise file… à l’anglaise, en nous souriant.
Alors que nous regardons s’éloigner cette brûlante apparition estivale éclairée par une lumière torride, est-ce sa vue qui permet à Roger de surmonter la peine causée par la tragédie de son pays ? mais il lève soudain sa pinte dans un geste solennel en portant un toast à la plus belle des saisons :
– Still… god bless summer.
