Instable

Je m’étais perdu en enfer. La porte qui venait de s’ouvrir ne donnait pas sur la soirée que tenaient mes amis, mais sur une boîte de Pandore.

Il y a deux ans le compte Instagram de ma mère était passé du plus profond anonymat à la célébrité soudaine ; rapidement elle avait atteint la barre des 666 000 followers. Peu après, elle les perdit tous mystérieusement et se suicida de déception. Or, quelle funeste espièglerie du destin devait me condamner à ce que je me trompasse de porte pour atterrir dans une soirée d’influenceuses ?

Je m’avançais dans ce chic appartement parisien tel Dante descendant aux enfers sans Virgile pour le guider. Des figures difformes et monstrueuses blessaient mon regard partout où il avait le malheur de se poser. Ici, c’étaient des joues disproportionnées, gonflées comme des melons, là des cils d’une immensité telle qu’à chaque battement les yeux menaçaient de s’envoler, là des dents si parfaites et blanches qu’elles en devenaient des crocs, là encore des ongles manucurés pareils à des griffes, là-bas des cheveux si tirés que la tête était sur le point de s’arracher, ici une robe si serrée qu’elle allait disparaître dans le néant, là un visage qui étouffait sous une mare de maquillage telle une âme prisonnière de son corps pécheur, là, là…

Je fermai les yeux, en sueur et tremblant. Pris de nausée, je trébuchais et me rattrapais sur un immense miroir. Je tressaillis ; perdu au milieu de cette glace démesurée, j’étais le seul avec un reflet. Créatures démoniaques ! Je cherchais en vain une lumière, une âme au sein de cette assemblée sordide. Les hommes, mais oui les hommes, où étaient-ils ? Aucune trace d’eux… Ah ! Si, je les vois ! Mais, mais que font-ils ? Ils lèchent les bottes de ces succubes. Littéralement ! Celui-ci est à genoux, celui-là à quatre pattes, lui allongé par terre, lui, lui… non, la décence m’interdit de décrire sa position. Pauvres fous ! Est-ce donc ce que vous êtes devenus ? Je détournais le regard car à nouveau la tête me tournait, au moins six fois plus violemment.

Profitant de ma confusion un diablotin s’approcha de moi avec un plateau recouvert de feuilles noircies d’une écriture minuscule : « followers, likes, followers, pas cher, votre âme, signez » ; je me débattais contre cette engeance et volais loin, dans la première direction que la Providence m’indiquait. Je me heurtais à une fenêtre. Cherchant à l’ouvrir pour respirer, je m’aperçus que le monde n’était qu’un brasier et le ciel un nuage noir sans fin de suie et de soufre. Bonté divine ! Aucune échappatoire ? Alors que j’essayais de retrouver mon calme déjà une autre chose tordue, boursoufflée se jetait sur moi :

« Followers ! Followers ! Pia pia, followers ! »

Arrière, démon ! Je n’ai pas encore renoncé ! Je fonçai le plus loin possible de cette vision d’horreur et allais me rouler en boule dans un coin de cette pièce cauchemardesque, choqué et pris de convulsions incontrôlables.

Sainte Vierge, notre Mère à tous qui êtes aux cieux, venez-moi en aide je vous en supplie, daignez sauver mon âme innocente. Qu’un ange descende de l’éther pour me secourir et je serai votre serviteur à jamais ; je m’efforcerai d’apporter la lumière dans le cœur des hommes. Sauvez-moi car j’ai encore espoir, ma Mère.

Alors, je vis : une enfant ; elle était à côté de moi, les cheveux blonds et le teint clair. Elle avait peur.

« Elles sont toutes… si laides, monsieur. »

« Ne les regarde pas ! » m’exclamai-je.

Par dieu, je jurai que nous allions sortir de cet engrenage et que si l’un de nous devait y rester ce serait moi. Je tendis la main à l’innocente enfant et elle me suivit à travers l’abîme instable. Les parjures abjectes s’écartaient sur notre passage en poussant des cris stridents. Les bouches formaient des fournaises qui nous encerclaient, les lèvres des sceaux enflammés cherchant à nous marquer, les langues des flammes malodorantes qui venaient lécher nos âmes.

Une voix lumineuse éclata au sein de ce gouffre obscur :

« Ne regarde pas, mon enfant ! »

Alors que l’espoir s’éteignait, que je sentais sur mes épaules les griffes de l’abandon, une chaleur innocente monta dans mon ventre, me guida. La main de la petite fille dans la mienne, je sentis une poignée de porte. L’actionnant avec les ultimes forces du désespoir, tout se termina.

Confus comme sortant d’un mauvais rêve je retrouvais mon chemin et arrivai à la soirée de mes amis. La petite fille avait disparu mais un détail la concernant m’apparut soudain : sa ressemblance avec ma mère enfant.

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