(…)
— Mais monsieur ! Au cancer du pancréas on ne dit pas « pitié », on dit « merci, au revoir ». C’est antebellum, in medias res le pancréas. Deux-trois, quatre mois, les doigts d’une main, vraiment… Ça simplifie, le pancréas, ça rationalise… Le plus simple, ont pensé certains, serait encore que nous n’en ayons pas ; idée séduisante s’il en est, cependant elle s’écroule vite, hélas, car l’absence de pancréas créerait rapidement d’autres problèmes. Enfin, en définitive, il est vrai que la mort nous a toujours causé quelques soucis. Le docteur reste pensif.
— Nous en parlions hier soir avec ma femme, docteur. Bien sûr elle ne me le souhaitait pas.
— Non, bien sûr.
— « Il a fallu que tu te chopes le pancréas ! » Qu’elle me disait…
— Oui, c’est regrettable.
— « Le pancréas ! Et moi ? Tu y penses à moi ? Qu’est-ce que je vais faire, moi ? » Il faut la comprendre…
— Oui.
— « Jusqu’à ta mort tu ne l’auras pas ratée ! raté ! sale raté ! » Ses propres termes…
— Si vous me le permettez je tempérerais ses propos en vous rassurant, monsieur : le pancréas ne constitue en rien une mort ratée. Au contraire, c’est une mort tout à fait correcte. Foudroyante. Un petit pf. D’un point de vue personnel je la préfère au purgatoire des soins palliatifs. Au moins, le pancréas nous supprime toute équivoque. C’est une ligne droite. Une autoroute, si vous préférez. Vous aimez les voitures ?
— Oui, comme tout le monde, ni plus ni moins…
— Disons donc une autoroute.
— Je comprends, docteur.
— Ne vous en faites pas pour votre femme, elle s’en sortira. Le cancer du sein est mieux traité. Relativement bénin, en toute relativité.
— Je ne m’en fais pas pour elle, docteur ; elle a déjà retrouvé quelqu’un. Mais c’est pour mon grille-pain… Nous avions noué une relation…
— Ah, oui…
—Que deviendra-t-il sans moi ? Ma femme a toujours été au régime, elle ne l’a jamais touché.
— Pas de tartines ?
— Hum…
— Hm, pauvre grille-pain, effectivement.
— Mais au moins, lui ne connaîtra pas le pancréas.
— Non, c’est vrai.
— Grille-pain…
— Tostrum-panis…
— Nous aurons eu de bons moments.
— Je n’en doute pas.
— Il m’aura donné du bonheur, docteur !
— Du bonheur, oui.
— Ce fut mon ami ; grille-pain…
— Votre ami, oui.
— Le seul de bon.
— Le seul, oui.
— Je pars sans regret.
— C’est le mindset.
— Dites-lui que je l’ai aimé.
— Will be done.
— Adieu.
— Until then, Sir Pancréas !

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