Ce matin-là, traversant le pont de Seine pour aller travailler, il serait pris d’un vertige. Sans la voir il s’appuierait in extremis sur la barre qui l’empêcherait de tomber dans le fleuve. Pourtant, il se dirait qu’elle devait être bonne. Nous étions au mois de mars : fraîche, revigorante, cristalline. Des petits poissons s’approchent de lui et forment un ballet plein de grâce ; accueilli si gentiment il éprouve un certain réconfort, peut-être même, une forme de bonheur. Dès lors, il ne résiste plus. Mais tandis qu’il chute, il entend un peu plus loin sur le pont, croit entendre, la vibration d’un violon. Un son boisé, rond, relativement indistinct mais qui s’amplifie à mesure. Quelqu’un, c’est ce qui semblait, jouait. Pourtant il n’avait vu personne sur le pont sinon les gens occupés. Malgré tout, les notes continuaient de lui parvenir et avec de plus en plus de clarté. C’était une musique d’éther, au caractère presque divin – bien qu’il ne crût pas en Dieu. Aussi, cet air lui était bon et il résolut de s’y installer jusqu’à l’impact. Mais c’est alors que, venant on ne savait d’où, le son d’un autre instrument se fit entendre, se joignit à la musique. C’était un son plus clair, perçant ; on eût dit une flûte, ou le chant murmuré d’un bel oiseau, il ne savait. Alors qu’il pensait son immersion imminente, car il lui semblait qu’il tombait depuis longtemps maintenant, les deux sons se mêlèrent soudain dans une harmonie d’un autre monde ; une mélodie telle qu’on l’eût dit capable de soigner la plus morfondue des âmes, et qui, pour lui, fut comme une feuille d’or que l’on déposa sur la sienne.
Il atterrit.
Mais, à sa grande surprise, il ne se retrouvait pas dans l’eau porté vers l’océan, mais bien sur le pont qui le menait à son travail.
Un peu plus tard il croiserait un homme portant un étui à violon et cela lui causerait un profond remous ; nouveau vertige. Confus, il le chercherait en tâtonnant ; les notes, oui les notes, elles devaient être quelque part et elles le mèneraient à lui, c’était certain. Mais tandis qu’il recouvrirait ses esprits l’autre ne serait plus qu’une ombre lointaine dans un coin de la rue. Il se sentirait triste de n’avoir pu le remercier. Mais peut-être que, en fin de compte, cela importerait peu. En fait, peut-être que la seule chose qui importait maintenant était que ces notes seraient en lui ; qu’elles seraient cet air des cieux qui le maintiendrait en vie quand il serait triste, et qui vivrait jusqu’à la fin dans son cœur.

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