J’avais suivi un bourdon en me disant que peut-être il me mènerait à la vérité ; ces derniers temps je me posais beaucoup de questions.
C’était une belle journée de printemps, ensoleillée et douce.
Je me retrouvais dans cette forêt beauceronne, environnée par les bruits de la Nationale 10 soufflant au loin.
Les rayons du soleil perçaient à travers les arbres encore nus.
Je marchais sur un sol meuble, grouillant d’une vie invisible. Le règne insectoïde, qui allait bon train, ne se souciait nullement de cet étrange pèlerin. Il avait bien raison ! Il y avait tant à faire dans cette forêt, à cette saison, il ne fallait pas traîner.
Le bourdon je l’avais perdu de vue. Je m’étais en quelque sorte égaré, alors que la forêt n’était pas si grande, sans pour autant être un mince buisson. Elle n’était même pas spécialement hostile, pas spécialement dense, la progression s’effectuait sans gêne. Mais, que voulez-vous, un citadin se perd vite dans la nature, même accueillante…
J’avais espérance de voir des biches. Je n’en vis pas. Il n’y eut que les oiseaux en entreprise de séduction, leur concerto.
Soudain, j’arrivai devant une prairie de pervenches. Elles recouvraient le sol, entre les minces troncs d’arbres, et grimpaient une légère pente. Je suivis l’onde.
Au sommet, il y avait une petite maisonnée de briques, à la géométrie étonnement parfaite : toute carrée en ses fondations, exactement triangulaire en son toit. Je ne sais pourquoi mais elle m’évoqua la maison d’un conte. Moi-même, déharnaché de mon quotidien, je me sentais vivre une histoire parallèle, comme si j’avais endossé la vie d’un autre.
Après la maisonnée, il y avait un atelier abrité par un toit de plaques en métal un peu rouillé. Une souche avec une scie, une hache, et un tas de rondins de bois. Des copeaux de par le sol, beaucoup de copeaux, et une odeur sylvestre prononcée. J’ai aimé cette odeur. Elle m’enivra.
Mais c’est alors que l’habitant sortit de la maisonnée. C’était un grand gaillard, d’un âge indéfinissable. Il était parfaitement chauve, et tous ses cheveux semblaient être tombés pour former son immense barbe. Il m’invita à entrer, d’un ton un peu bourru. J’eus une appréhension mais acceptai finalement, par curiosité. Que pouvait bien recéler la maison du conte ?
L’homme cultive les pervenches, c’est une plante anti-cancéreuse. Il fait ses propres potions, pour lutter contre big pharma – le mal. Je veux nuancer son propos, mais je m’aperçois de mon ignorance. Qu’ai-je à lui opposer ? Qui suis-je pour le juger ? Je me tais.
L’intérieur est spartiate mais il y règne une ambiance étonnante, peut-être est-ce la sensation d’entrer dans un « chez soi ». Il a bâti cette maison. L’intérieur ressemble à un chalet, tout est boisé. Il n’aimait pas la froide impression que lui laissaient les briques. Il prépare une mixture au-dessus d’un gros chaudron, dont la fumée s’échappe par la cheminée. « Une gorgée et tu tiens 50 ans ! » me lance-t-il sans quitter des yeux la bouillonnante préparation.
« À condition que tu coupes les poisons. » précise-t-il.
« Les poisons ? »
« Ah ! »
Il se moque.
« Vos trucs modernes, rien de bon dans tout ça. Tout empoisonné. Mais y te le diront jamais. »
Cette fois-ci mes doutes sont plus prononcés. Ma raison me dit que sa pensée est extrêmiste, et les chiffres sont avec moi. Je veux lui parler de la mortalité infantile, de l’espérance de vie, de la richesse et du confort, des vaccins et des centenaires, du système hospitalier – mais sa fille apparaît et je suis soudain muet. Je suis prêt à tout croire s’il accepte de nous marier.
« Lucile ? Bah ! Qu’est-ce que tu fais là ? Je t’avais dit… »
Il ne veut pas qu’elle soit en contact avec des étrangers. Le monde est corrompu. Elle doit rester pure. Je ne sais pas le blâmer. Elle si belle : comment ne pas vouloir la protéger ?
Cependant il me lance un regard de biais et la laisse m’emmener à l’étage. C’est un petit couloir de rondins de bois massif, avec un tapis ovale au milieu. Elle marche devant moi. Ses cheveux noirs parcourent son dos, ils bouclent légèrement. Leur densité est prodigieuse. On dirait une forêt vierge. Surtout, ce qui me trouble : ils me semblent très propres. Je me demande comment c’est possible. Elle recluse ne doit pas avoir accès aux shampoings. Une pâte de champignons, peut-être ? Il faudra que je lui demande.
Soudain elle se retourne et je suis pétrifié. Sa peau est d’une blancheur surnaturelle. Son visage est brut mais beau, sa peau semble sortie d’un moule. Ses cils délicats encadrent un regard habité, qui devient soudain doux ; elle s’affaisse légèrement et m’invite à entrer dans sa chambre.
Il y a un lit.
Il est en bois massif. Surplombé d’une tête robuste. Probablement construit par son père. Je m’étonne qu’il ne soit pas couvert de peau de bêtes. Préjugé condescendant de mon intellect. Non, ce sont des draps blancs, simples. Hm.
Une bibliothèque. Clairsemée. Quelques livres. Je me demande quelles peuvent être ses lectures.
« Vous lisez ? » lui demandé-je d’une voix mal assurée.
Elle ne répond pas. Elle a pris place dans la chambre. Debout, immobile, les mains croisées. Elle ne me regarde pas.
Un petit bureau, en bois toujours. Dessus, un miroir, de la taille d’un visage, monté sur un petit réceptacle. Elle peut donc se voir.
Passe-t-elle son temps à se contempler ? Moi, je le ferais. Je passerais une vie à la regarder.
J’ai maintenant inspecté la chambre, mais elle ne me parle toujours pas, et semble éviter mon regard. Peut-être se demande-t-elle ce que j’en pense ?
« C’est une belle chambre ! Vous devez être bien, ici. »
Elle sourit et vient contre moi.
Je la trouve soudain très libérale.
Je ne comprends pas son arrière-pensée.
Mais nous sommes maintenant assis sur le lit. Pourquoi pas ?
Est-ce que je fais quelque chose de mal ? Je ne pense pas.
Sa bonne odeur m’interloque encore. Je n’ai pas vu de salle de bain dans leur maisonnée. Peut-être que, dans la forêt, on ne se salit pas ? Il faudra que je leur demande.
C’est une odeur d’aubépine. Ou de sous-bois. On dirait de l’ambre. Une odeur à la fois douce et forte, quelque chose qui nous ramène un temps en arrière, m’évoque le mystérieux et l’ancestral.
La pureté de sa peau est inexprimable ; on la dirait venue au monde hier.
Je m’engourdis. Je perds quelque faculté de raisonnement.
Je crois qu’elle a posé sa main sur mon torse, m’a légèrement poussé. Je ne suis pas certain.
Je suis peut-être le seul homme qu’elle ait jamais vu. Comment savoir ? Le privilège de la rareté, d’être le premier. Je lui avoue moi-même ne pas avoir connu de femmes depuis bien longtemps. Elle ne commente pas. Pourquoi le ferait-elle ? Qu’est-ce que ça change ? Elle a bien raison. Bien sage est cette fille des bois. Elle ne veut qu’une chose. Elle enlève mes vêtements. L’amour.
Il y a une mare sous la terre.
L’eau, est souterraine.
C’est ce qu’elle m’a dit.
Ça m’a intimidé.
— Il faudra revenir à la pleine lune, pour sceller le mariage, me dit-il alors que je descends des escaliers.
J’acquiesce sans mot dire alors qu’elle me regarde en cachette, avec intensité, son visage dépassant de derrière la poutre, une cascade tombant de sa tête en boucles noires miroitantes – j’ai un léger vertige.
Je ne revins jamais à la cabane de l’alchimiste.
Le monde moderne me rappelait à lui… ses vices et ses jouissances malsaines. Le bonheur simple et l’amour ce n’était plus pour moi… Les fleurs, elles ne pouvaient plus exister que dans cette forêt et sur la peau de cette jeune fille des bois.

Découvrir de nouvelles ambiances :
Bien, comme dans un rêve……
Bises
FX
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