Me retournant pour lui tenir la porte, elle me sourit. Dans ma surprise je ne lui rendis pas son sourire peut-être même lui jetai-je un regard froid. Plus tôt ce matin dans la rame de métro, deux hommes hirsutes hurlaient à la mort à propos d’Allah, de commettre des viols et des meurtres. L’un avait des lunettes, l’autre une petite sacoche. Les deux tenaient un gobelet et sentaient l’alcool. Et là, là maintenant, une femme d’une grâce réelle, habillée avec soin, respectable sous toutes les coutures, me souriait. C’était pourtant la même journée, le même monde. Alors que la réalité avait refusé depuis longtemps de se présenter sous une forme digne, elle me rappelait soudain qu’elle pouvait aussi, être ça. Mais je n’y étais plus habitué, je ne pus donc pas, je n’eus pas le temps, de lui rendre son sourire.
Alors, je m’en suis voulu car peut-être qu’elle s’était dit, elle aussi, que nous étions tous pourris, que même les sourires ne pouvaient plus, qu’ils n’en valaient plus la peine et qu’il fallait les abandonner, pour de bon. Hanté à l’idée que je pus être à l’origine d’une pensée si terrible qui viendrait tourmenter un être si pur, je m’empressai de gribouiller ces lignes inutiles pour lui dire que non, bien au contraire, elle ne devait jamais arrêter de sourire. Qu’au sein de cette violence permanente, de cette stupidité répugnante, de ces monticules d’ordures crasseuses, s’il n’y avait qu’un, perdu quelque part, qu’un seul sourire, alors à lui seul il pourrait tout laver, tout gracier. Car c’est ce que vous veniez de faire, Madame. Avec votre si beau sourire auquel je n’étais hélas pas préparé, vous m’aviez en un clin d’œil lavé. Ainsi, j’étais de nouveau prêt, prêt à affronter l’absurdité.
Quand, en m’enfonçant dans cet abîme sans fond qu’est la connerie humaine j’emporterai avec moi votre cadeau inestimable, il ne cessera de résonner dans mon cœur et peut-être même sur les parois de ce gouffre immonde :
« merci ».
